Directeur du Centre International UNESCO sur l’Eau à Montpellier, directeur de recherche à l’IRD et professeur associé à l’Université de Montpellier, Éric Servat publie « Le grand défi de l’eau, Plaidoyer pour la raison, l’espoir et l’action » chez Harper Collins, paru en septembre 2025. Hydrologue reconnu au plan international, il appelle à dépasser les discours anxiogènes pour mobiliser science, intelligence collective et innovation autour de l’eau. Une philosophie que partage Seawards, qui développe une technologie innovante de cryo-séparation pour le dessalement, alternative plus sobre et moins polluante que les procédés actuels.
Pourquoi avoir écrit ce livre aujourd’hui ?
Éric Servat : J’ai voulu écrire ce livre pour inciter nos sociétés à prendre la question de l’eau à bras-le-corps. Mais aussi pour délivrer un message raisonnable et positif. On entend beaucoup de discours catastrophistes : « tout est foutu », « la vie ne sera que douleur et souffrance ». Or, si on martèle cela, comment embarquer les gens dans le changement ? L’eau est un sujet universel, elle doit nous rassembler.
Vous refusez le catastrophisme. Pourtant, les constats sont inquiétants…
Bien sûr, la raréfaction et la pollution de l’eau sont des réalités mesurables et croissantes. Mais il faut éviter l’agitation et prendre un peu de hauteur. On oublie parfois de dire que certaines pollutions annoncées sont en dessous des seuils de toxicité, ou que nous avons en Europe une qualité d’eau distribuée qui reste remarquable. Dans le même temps, 500 000 enfants meurent chaque année en Afrique de diarrhées hydriques en quelques jours car la seule eau dont ils disposent est contaminée. Il faut être lucide, mais aussi replacer les enjeux dans leur contexte et agir là où c’est nécessaire.
Quelles solutions proposez-vous ?
La première, c’est la prévention : la meilleure façon de lutter contre la pollution, c’est de ne pas la générer. Ensuite, il faut protéger les ressources, par exemple en redéfinissant et protégeant mieux les périmètres de captage et en y associant les agriculteurs en tant qu’acteurs de la qualité de l’eau. L’eau est centrale et incontournable pour toutes nos activités, elle doit redevenir visible dans nos politiques publiques.
Vous insistez beaucoup sur l’intelligence collective.
C’est ce qui m’a marqué dans ma carrière. Quand j’étais jeune hydrologue en Côte d’Ivoire, j’ai participé au grand programme de l’OMS contre l’onchocercose, la « cécité des rivières ». Des experts aux compétences très différentes ont travaillé ensemble. Résultat : depuis le début des années 2000 une quinzaine de millions d’enfants ont été épargnés d’une cécité à l’âge adulte en Afrique de l’Ouest. Cela prouve qu’il n’existe pas de solution toute faite et d’application universelle. Il est essentiel d’associer les savoir-faire, adaptés aux conditions locales et aux cultures.
Dans ce contexte, quels rôles jouent la technologie et l’innovation ?
Je ne suis pas un « techno-solutionniste ». La technologie ne résoudra pas tout. Mais elle est une part de la solution. Prenons le dessalement : énergivore et polluant, mais indispensable dans certaines régions comme le Maghreb ou, sans doute, à terme, les Pyrénées-Orientales comme c’est le cas dans la Catalogne voisine. Des technologies comme la cryo-separation explorée par Seawards montrent qu’on peut développer des procédés plus sobres, non polluants et plus adaptés. L’innovation, combinée à des politiques courageuses et à l’intelligence collective, nous aidera à nous adapter. Comme pour le climat, nous ne sauverons pas l’eau sans la science.
En un mot, quel message voulez-vous transmettre ?
Que rien n’est perdu. Les solutions existent, certaines déjà là, d’autres à inventer. À condition de ne jamais renoncer, d’accepter de comprendre, de changer et surtout d’agir.